Comment partager le pouvoir du façon égale dans le couple ? Une façon d’aborder la question est de se référer au « triangle dramatique » de Karpman[1]. Il est « dramatique » non parce qu’il est tragique ou pathétique – même si la situation relationnelle peut le devenir ! – mais au sens théâtral : on « joue » parfois inconsciemment un jeu de rôle psychologique. Le triangle dramatique reprend trois rôles que l’on peut retrouver dans le couple : la victime, le sauveur et le persécuteur.
Pour comprendre ce mécanisme inconscient, voyez la vidéo ci-dessous. Vous préférez lire un résumé de la vidéo? Poursuivez cet article. Bonne réflexion!
Dans un couple comme dans toute relation, il arrive qu’une personne se sente « victime » et joue inconsciemment ce rôle en se plaignant : tout va mal, elle n’a pas de chance, « Il n’y a qu’à elle que ça arrive », « on » ne l’aime pas. Elle se sent mal « à cause » des autres, « à cause » du monde, de la société, des événements… Elle ne se sent pas responsable de sa situation et attend qu’on vienne la sauver en rejetant les solutions qu’on lui propose… Elle reste ainsi dans sa zone de confort.
Ce type de personne donne donc un certain pouvoir à ceux qui veulent jouer, le plus souvent sans s’en rendre compte, le rôle de « sauveurs » : ces derniers se sentent utiles voire indispensables : le sort de l’autre dépend d’eux. Ils donnent des conseils non sollicités, proposent des solutions non attendues, ils savent ce qu’il faut faire mieux que les victimes, ils peuvent d’ailleurs le faire à la place des victimes même si elle n’en a pas besoin. Ils se sacrifient au détriment de leurs propres besoins et même de la victime qu’ils laissent dans la passivité et la dépendance. Mais ils peuvent continuer à ignorer leurs propres problèmes et rester « préoccupés » par la situation de l’autre pour rester, eux aussi, dans leur zone de confort.
Si l’aide proposée n’est pas acceptée, ils peuvent alors jouer souvent inconsciemment aux « persécuteurs » : ils blâment, ils critiquent, contrôlent et dévalorisent parce qu’ils se sentent supérieurs. Cette position de pouvoir gonfle leur confiance en eux-mêmes mais cela risque de les isoler et va en outre maintenir la passivité de la victime. Néanmoins pour rester dans leur zone de confort, ils risquent de vouloir garder cette position de domination. Il peut nous arriver à tous de jouer l’un ou l’autre rôle et parfois plusieurs en même temps ! En jouant ces rôles, on entre dans un jeu de manipulation et de co-dépendance alimentant un système qui maintient les membres du couple dans l’inégalité.
Attention, ne pas se méprendre sur les termes de « victime » et « sauveur ». Il y a en effet de vraies victimes (d’accident, d’abus, de conflits…) et il y a de vrais sauveurs qui écartent des personnes de situations réellement dangereuses. Dans le cadre du triangle « dramatique », on parle de « jouer » à la victime ou au sauveur. L’un endosse le rôle de victime et attribue toutes ses difficultés aux autres ou aux événements pour attirer l’attention. L’autre se fait sauveur pour se rendre utile en maintenant l’autre dans sa position de victime. Le Christ est notre Sauveur, non dans le sens du triangle dramatique bien sûr. Il nous sauve non pour se rendre utile et nous maintenir dans un état de victime. Il nous sauve pour nous mettre debout et en marche ! |
Alors que faire ?… Entrer dans le triangle dynamique[2] proposé par le coach David Emerald.

Dans le triangle dynamique, la victime reprend le pouvoir de sa vie et devient créateur de sa vie. Le créateur choisit comment réagir face aux personnes et aux événements qu’il ne contrôle pas toujours. Il devient responsable, assumant les conséquences de ses choix. Il ne subit plus. Il est pro-actif.
Quand il a besoin d’aide, il n’appelle plus un sauveur mais un coach, c’est-à-dire quelqu’un qui facilite, accompagne et aiguille vers des ressources dont le créateur a besoin. Le coach donne ainsi au créateur la possibilité d’atteindre ses objectifs parce qu’il sait que seul, le créateur a le pouvoir sur sa vie. Le coach ne prend pas la responsabilité de la vie de l’autre sur ses épaules. Il lui pose des questions pour lui permettre de clarifier ce qu’il recherche. Par ailleurs, le créateur pourra parfois avoir besoin d’un booster qui ne soit pas un persécuteur mais bien un challenger[3] qui lui propose des opportunités, voire des défis pour lui permettre de grandir et d’évoluer.
Le couple égalitaire est donc celui où deux créateurs sont pro-actifs pour façonner leur couple en s’accompagnant comme des coachs et en se challengeant pour relever des défis qui feront avancer et grandir leur couple. Et si celui qui endosse le rôle de victime a du mal à en sortir seul, c’est l’autre qui l’y aidera en adoptant une attitude de coach ou de challenger !
Jésus et le triangle dynamique
Une lecture intéressante des évangiles est de se demander quelle position prend Jésus pour éviter de rentrer dans le triangle dramatique et entrer plutôt dans le triangle dynamique. Prenons quelques extraits :
Dans le récit de Marthe et Marie : St Luc, 10, 38-42 Chemin faisant, Jésus entra dans un village. Une femme nommée Marthe le reçut. Elle avait une sœur appelée Marie qui, s’étant assise aux pieds du Seigneur, écoutait sa parole. Quant à Marthe, elle était accaparée par les multiples occupations du service. Elle intervint et dit : « Seigneur, cela ne te fait rien que ma sœur m’ait laissé faire seule le service ? Dis-lui donc de m’aider. » On réaliste ici que Marthe « fait » la victime en s’adressant à un sauveur. On pourrait même dire qu’elle entre dans le rôle de persécuteur quand elle demande à Jésus de lui « dire de l’aider ». Le Seigneur lui répondit : « Marthe, Marthe, tu te donnes du souci et tu t’agites pour bien des choses. Une seule est nécessaire. Marie a choisi la meilleure part, elle ne lui sera pas enlevée. Jésus ne rentre pas dans le triangle dramatique. Il ne va être ni « sauveur » au sens où Marthe l’entend, ni « persécuteur » en enjoignant Marie de rejoindre sa sœur. Il agit au contraire en « challenger » en invitant Marthe à revenir à l’essentiel. C’est un peu comme si Jésus lui disait avec un clin d’œil : « Et si tu allais plutôt t’asseoir avec Marie ! »
Dans le récit avec la cananéenne : Matthieu, 15, 22-28 Voici qu’une Cananéenne, venue de ces territoires, disait en criant : « Prends pitié de moi, Seigneur, fils de David ! Ma fille est tourmentée par un démon. » Mais il ne lui répondit pas un mot. Les disciples s’approchèrent pour lui demander : « Renvoie-la, car elle nous poursuit de ses cris ! ». Jésus répondit : « Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël. » Mais elle vint se prosterner devant lui en disant : « Seigneur, viens à mon secours ! » Il répondit : « Il n’est pas bien de prendre le pain des enfants et de le jeter aux petits chiens. » Elle reprit : « Oui, Seigneur ; mais justement, les petits chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres. » Jésus répondit : « Femme, grande est ta foi, que tout se passe pour toi comme tu le veux ! » Et, à l’heure même, sa fille fut guérie. Dans cette situation, Jésus se retrouve face à une personne qui se présente comme une victime qui demande de l’aide. L’histoire ne dit toutefois pas qu’elle « joue » à la victime. Mais la réaction des apôtres et de Jésus est intéressante. Les apôtres jouent aux persécuteurs en voulant la renvoyer. Jésus, quant à lui, va travailler la demande de cette cananéenne et éprouver sa foi en la provoquant et la challengeant : « Il n’est pas bien de prendre le pain des enfants et de le jeter aux petits chiens. » (A noter que les Cananéens sont des païens et que les Juifs parlaient de « chiens » quand ils évoquaient les païens). Il ne se présente pas comme un sauveur paternaliste : il rend cette femme participative de son propre salut. Le résultat est par ailleurs surprenant : elle va devenir le challenger de Jésus « Oui, Seigneur ; mais justement, les petits chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres. ». Elle confirme ainsi à Jésus que sa mission s’étend aussi aux païens !
Et encore… Dans d’autres situations, Jésus agit en « coach » en demandant à la victime qui s’adresse à lui de préciser sa demande. Ex : Que veux-tu que je fasse pour toi (Bartimée, Marc 10, 46-52). Dans d’autres circonstances, il agit en « challenger » face aux victimes en leur demandant de se mettre en route : « Allez vous montrez au prêtre » (les dix lépreux, Luc 17, 11-14), « Prends ton grabat et marche » (le paralysé de la Piscine de Bethsada, Jean 5, 1-9). Jésus les invite à prendre leurs responsabilités et assumer leur destin. Le bonheur de Dieu, c’est l’homme debout !

En résumé nous sommes tous invités à prendre conscience des moments où nous entrons (ou risquons d’entrer) dans le triangle dramatique et si nécessaire:
- à sortir du triangle dramatique (où la victime souffre « à cause » des autres ou de l’autre, des événements et des persécuteurs et attend d’être prise en charge par un sauveur qui la maintiendra dans une situation de dépendance) ;
- pour entrer dans le triangle dynamique où :
- la victime devient créateur de sa vie, en faisant des choix et en les assumant ;
- le sauveur devient coach en posant des questions et en croyant que le créateur a tout le potentiel pour réussir ;
- le persécuteur devient un challenger offrant des opportunités et des défis à relever pour permettre à l’autre de s’épanouir.
Source de l’article: https://enduelouenduo.com/comment-sortir-du-triangle-dramatique-victime-sauveur-persecuteur-sans-briser-la-relation/
[1] Le « triangle dramatique » s’inscrit dans la « famille » de la théorie des « Jeux de manipulation » en Analyse Transactionnelle fondée par un américain, Éric Berne, dans les années 1950 à 1970.
[2] En Anglais : The Empowerment Dynamic (TED).
[3] Le persécuteur est parfois simplement un événement hors de mon contrôle et dont je me fais la victime. Un changement de regard peut en faire un défi à surmonter où je me vois alors comme créateur.
Très chouette cette présentation ! Et les exemples pris dans l’évangile permettent de se rendre compte qu’il ne faut pas 24 séances (ou plus !) pour arriver à dénouer la situation… il nous « suffit » de prendre conscience de ce qu’il se passe pour pouvoir nous adapter et ne pas nous laisser prendre au piège. Merci !
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